Cession de clientèle pour professions civiles : cadre juridique, conditions et enjeux
Introduction
La cession de clientèle civile soulève des interrogations importantes pour tout professionnel libéral exerçant une activité libérale non commerciale, comme un avocat, un expert-comptable, un architecte ou un consultant. À la différence d’un fonds de commerce, la notion de clientèle civile implique des spécificités juridiques, déontologiques et doctrinales, liées à la relation de confiance, au caractère intuitu personae de l’exercice professionnel, et à la liberté de choix du client.
Ce guide a pour objectif d’expliquer les conditions de licéité, le régime juridique, les effets et les précautions à prendre dans le cadre de la cession de la clientèle pour les professions libérales, en s’appuyant sur les évolutions de la jurisprudence, les débats doctrinaux, et la réforme du droit des contrats.
Nous aborderons également la notion de cession d’un fonds libéral. Il s’agit d’une convention par laquelle une entreprise, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale, cède une clientèle et tous les éléments permettant d’exercer sa profession (matériels, outillage, bail professionnel ou commercial …).
Qu’est-ce qu’une clientèle civile ?
La clientèle, au sens du droit civil, désigne l’ensemble des clients qui recourent régulièrement aux services d’un professionnel libéral. Elle constitue un élément essentiel du fonds libéral, même si ce fonds ne relève pas du code de commerce.
Contrairement à la clientèle commerciale, la clientèle civile repose principalement sur une relation de confiance personnelle fondée sur la compétence, la réputation, et l’éthique du praticien. Elle se distingue de la clientèle médicale, encore appelée patientèle, par un encadrement déontologique différent selon la profession exercée, mais répond aux mêmes principes : la liberté de choix, la non-exclusivité, et l’absence de garantie de reprise par le successeur.
Même si leurs obligation et règles ordinales ont parfois des points de ressemblance, la déontologie d’un avocat ne sera pas la même que celle d’un médecin ou d’un chirurgien dentiste ou d’un architecte. Ces règles peuvent être indiquées dans ces codes (comme le code de la santé publique par exemple) ou dans une loi non codifiées. Généralement, ces règles sont relatives au comportement du praticien avec un client ou un patient ou l’un de ses confrères, à la concurrence, ou à des règles pratiques.
La cession de clientèle civile est-elle licite ?
Longtemps discutée, la licéité de la cession de clientèle civile est aujourd’hui largement admise, sous condition que soit sauvegardée la liberté de choix du client.
Il y a, d’une part, le cessionnaire, propriétaire de la clientèle cédée (ou du fonds vendu) et, d’autre part, le cessionnaire.
2.1. Une évolution de la jurisprudence
Pendant longtemps, la cour de cassation a écarté toute reconnaissance de la cession de clientèle civile, estimant que cette relation personnelle n’était ni cessible, ni patrimonialisable. Ce refus reposait sur l’idée que le client choisit son professionnel libéral en fonction de critères intuitu personae, ce qui rendait toute cession de contrat ou de relation commerciale illicite.
Mais à partir de l’arrêt du 7 novembre 2000, la première chambre civile a opéré un revirement de jurisprudence : elle a reconnu la validité d’une cession de la clientèle, sous réserve du libre choix des clients (cass civ 1ère 7 nov 2000 n°98-17731 Bulletin 1995, I, n° 145, p. 103).
2.2. Encadrement juridique
Depuis ce revirement, le principe est clair :
- la convention portant cession de la clientèle est licite ;
- à condition que soit sauvegardée la liberté de choix des clients ;
- aucun transfert automatique de contrat n’est possible à l’occasion de la cession (sauf exception comme pour les contrats de travail) ;
- la présentation de la clientèle est admise, mais ne doit pas équivaloir à une cession de contrat forcée (en raison du lien qui doit nécessairement exister entre le praticien et son client).
Comment se déroule la cession du fonds ?
3.1. Les éléments cédés
La cession de clientèle civile s’intègre généralement dans la cession d’un fonds libéral, qui peut inclure :
- la présentation de la clientèle ;
- une convention particulière précisant les conditions de cession (accompagnement du cédant et présentation sur plusieurs mois …) ;
- le droit au bail ;
- les équipements matériels (mobilier, informatique, etc.) ;
- le nom commercial ou l’enseigne, si existants ;
- un contrat de présentation du successeur ;
- une clause de variation ou de détermination du prix ;
- des clauses de non-concurrence.
Ces éléments forment un ensemble incorporel structuré, comparable à certains égards à un fonds de commerce, bien que la qualification commerciale ne soit pas applicable ici.
3.2. L’acte juridique
La cession est formalisée par un acte de cession signé entre le cédant et le cessionnaire, composé de plusieurs articles, qui peut inclure :
- une clause de présentation de la clientèle ;
- la non-garantie de reprise des clients ;
- un engagement de non-concurrence du cédant sur une durée et un périmètre raisonnables.
Il est fréquent de parler de contrat de présentation, qui ne lie juridiquement que le professionnel et son successeur, et non les clients eux-mêmes.
Quels sont les effets de la cession ?
4.1. Aucun transfert automatique de clientèle
La conséquence de la cession, pour la clientèle, est nulle si les clients refusent de suivre le successeur. La liberté de choix doit être sauvegardée à chaque instant. Le cédant n’est tenu qu’à une obligation de moyen mais, en pratique, les cessions se font sans difficulté.
4.2. Présentation et continuité
En revanche, le cédant peut légitimement :
- informer ses clients de son départ ;
- leur présenter le successeur ;
- les encourager à lui faire confiance, sans pression.
Cela garantit une continuité d’activité, sans porter atteinte à l’autonomie du client.
En outre, il est fréquent que le repreneur devienne membre du cabinet qu’il rachète (collaborateur ou salarié durant une période définie par la convention).
Cela permet d’une part au cessionnaire de toucher une rémunération entre la signature de la promesse et la réitération et, d’autre part, de garantir l’effectivité de la cession de clientèle conclue.
4.3. Effets fiscaux et comptables
Sur le plan fiscal :
- la valeur de la clientèle est considérée comme un élément incorporel du fonds ;
- la cession peut générer une plus-value imposable ;
- une cession de créance peut aussi être envisagée (contrats en cours de règlement, honoraires dus).
Ce que dit la jurisprudence
5.1. L’arrêt du 7 novembre 2000 : une décision clé
Dans cet arrêt de la première chambre civile, la cour de cassation a jugé que la cession de clientèle civile est licite si elle ne porte pas atteinte à la liberté de choix des clients. En l’espèce, il s’agissait d’une cession de patientèle d’un médecin. Une clientèle médicale avait été cédée puis la validation de cette cession contestée par son confrère.
Arrêt du 7 novembre 2000 : le principe de libre choix du client est respecté dès lors qu’il est informé et que rien ne l’oblige à recourir au nouveau professionnel.
Voici l’attendu de principe :
« Mais attendu que si la cession de la clientèle médicale, à l’occasion de la constitution ou de la cession d’un fonds libéral d’exercice de la profession, n’est pas illicite, c’est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient ; qu’à cet égard, la cour d’appel ayant souverainement retenu, en l’espèce, cette liberté de choix n’était pas respectée, a légalement justifié sa décision ; d’où il suit que le moyen, mal fondé en sa première branche, est inopérant en sa seconde « .
5.2. Précisions jurisprudentielles postérieures
Plusieurs décisions ont confirmé cette position :
- la cession du fonds peut inclure la présentation de la clientèle ;
- la nullité de l’acte peut être encourue en cas de pression ou de clause excessive ;
- la cession ne peut porter que sur des éléments incorporels patrimoniaux.
L’arrêt attaqué dans l’affaire de 2000 avait été censuré au motif qu’il refusait à tort la validité d’un tel transfert.
Quel serait le droit subjectif attaché à la clientèle ?
Il est souvent avancé que la clientèle, dans le cadre d’un fonds libéral, pourrait constituer un droit subjectif, notamment à travers :
- la valeur patrimoniale qu’elle représente ;
- son usage exclusif par le professionnel en exercice ;
- et sa transmission possible, même encadrée.
Toutefois, la doctrine reste partagée. Certains auteurs estiment que la clientèle est un bien meuble incorporel, mais sans autonomie juridique. D’autres y voient un droit patrimonial susceptible de cession, de propriété intellectuelle ou d’usufruit.
Ce débat trouve un écho dans la réforme du droit des contrats et dans la volonté d’unifier les régimes applicables aux fonds libéraux et aux fonds de commerce.
Une cession de clientèle civile doit-elle être publiée comme un fonds de commerce ?
La cession de la clientèle d’un professionnel libéral ne fait pas l’objet d’une publication obligatoire au BODACC ni d’une inscription au registre du commerce, à la différence de la vente de fonds de commerce.
Cependant, certaines situations peuvent justifier :
- une publication volontaire, notamment en cas de cession d’éléments matériels associés au droit au bail ;
- une information contractuelle des parties prenantes (bailleur, personnel, cocontractants).
En l’état actuel du régime juridique, la cession de clientèle civile reste encadrée par le régime général des contrats civils, notamment l’article 1128 du code civil sur la licéité et la capacité.
Pourquoi se faire accompagner par un avocat ?
Le transfert de la clientèle est une opération délicate, à fort enjeu juridique et fiscal, qui nécessite l’intervention d’un avocat en droit des contrats ou en droit des affaires.
Un avocat peut vous assister pour :
- sécuriser l’acte de cession ;
- respecter la déontologie de votre profession ;
- préserver la relation de confiance avec vos clients ;
- anticiper les conséquences de la cession en cas de litige ou de rupture de contrat ;
- organiser la présentation de la clientèle dans le respect du libre choix.
Conclusion
La cession de clientèle civile est aujourd’hui une opération licite, mais encadrée. Elle suppose la présentation de la clientèle, la protection de la liberté de choix, et un respect strict des règles propres à chaque activité libérale. Bien que distincte d’une cession de fonds de commerce, elle soulève des questions juridiques comparables, et justifie un accompagnement rigoureux.
Faire appel à un professionnel du droit, c’est garantir une transmission conforme, sécurisée et valorisée, dans un cadre adapté à la spécificité du fonds.
FAQ
Peut on céder la société qui exploite le fonds libéral ou uniquement ledit fonds ou la clientèle ?
Vous avez la possibilité de faire l’un ou l’autre pour transmettre ou acquérir un cabinet. Attention, il existe d’importantes différences entre les dispositions relatives à une cession de clientèle (cession d’un ou plusieurs actifs) et celles relatives à une cession de parts sociales ou d’actions (cession des actifs et des passifs).
Un médecin, un infirmier ou un chirurgien dentiste peut il exploiter un fonds commercial ?
Non, il ne peut s’agir que d’un fonds libéral.
Faut il prévenir un ordre de la cession ?
Oui, si vous exercez un profession ordinale, vous devez les informer de la cession. Il est fréquent que les ordres souhaitent vérifier que les conventions que vous souhaitez signer soient conformes aux usages de votre profession.
Peut on vendre un fonds libéral dont on a hérité ?
Oui, il faut alors que votre avocat se mette en relation avec le notaire en charge de la cession.
Attention, la clientèle étant un élément incontournable du fonds libéral, une durée trop longue entre l’ouverture de la succession et la revente ne doit pas exister.
En cas de cession d’un fonds libéral, l’acquéreur peut il payer les dettes de son confrère ou cédant ?
Par définition, les dettes du fonds ne sont pas reprises par le successeur.
Il existe une première exception lorsqu’il s’agit de la volonté des parties. Il faut que le transfert d’une ou plusieurs dette soit explicitement demandé par les parties et rédigé.
Il existe une autre exception, qui est légale, contenu dans les dispositions du code général des impôts. Il s’agit de la solidarité fiscale entre le cédant et le cessionnaire. Si le cédant ne paie pas ses impôts sur les revenus, le cessionnaire peut être tenu d’y palier.
Il est donc recommandé de confier la cession à un avocat qui s’assurera de la sécurité de l’opération de rachat pour le cessionnaire. A ce titre, les modèles qui circule sur internet ne traitent jamais de la solidarité fiscale et font, ainsi, courir un risque aux repreneurs.