Le bailleur commercial face à la cession du fonds de commerce

Le bail commercial a cette particularité que le locataire en place peut céder son bail dans le cadre d’une cession de fonds de commerce. Pour beaucoup de bailleurs, cette situation est source d’inquiétude : ils se voient soudain “imposer” un nouveau locataire qu’ils n’ont pas choisi, sans véritable possibilité de s’y opposer. Pourtant, cette réalité juridique, souvent perçue comme une contrainte, répond à une logique économique et peut s’avérer bénéfique dans la plupart des cas.

Cet article fait le point sur ce mécanisme et explique pourquoi, en pratique, la cession du fonds de commerce et l’arrivée d’un nouvel exploitant peuvent souvent être dans l’intérêt du propriétaire.


1. La cession du fonds de commerce emporte cession du bail commercial

Le fonds de commerce comprend un ensemble d’éléments essentiels à l’exploitation d’une activité : la clientèle, le nom commercial, l’enseigne, le droit au bail, le matériel et parfois même le personnel attaché à l’entreprise.

Le droit au bail commercial est donc l’un des éléments constitutifs du fonds de commerce. Sans ce droit au bail, le fonds n’a pas d’assise physique ni de valeur économique durable. C’est pourquoi la cession du fonds entraîne mécaniquement la transmission du bail au repreneur.

En d’autres termes, le locataire initial (le cédant) cède non seulement son activité, mais aussi son droit d’occupation des lieux, au profit du nouveau commerçant (le cessionnaire).


2. Le bailleur ne peut pas s’opposer à la cession du bail attachée au fonds

Cette règle découle d’un principe bien établi du droit des baux commerciaux : toute clause interdisant au locataire de céder son bail à l’acquéreur de son fonds de commerce est réputée non écrite (article L145-16 du Code de commerce).

Autrement dit, le bailleur ne peut pas refuser que le bail soit transmis à l’acquéreur du fonds, dès lors que la cession porte bien sur l’ensemble du fonds de commerce et non sur le bail isolément.

Ce principe protège la valeur du fonds : un commerçant qui ne pourrait pas céder son bail perdrait l’essentiel de la valeur de son entreprise. Ce serait contraire à la liberté du commerce et à la sécurité des transactions économiques.

👉 En résumé : le bailleur ne choisit pas le nouveau locataire, mais il ne perd pas pour autant toute maîtrise. Des garanties existent.


3. Le rôle des clauses de cession dans le bail commercial

Si la clause interdisant toute cession est nulle, le bailleur peut néanmoins encadrer les conditions dans lesquelles la cession a lieu.

Certaines clauses, parfaitement légales, permettent par exemple de prévoir que :

  • le bailleur soit informé préalablement de la cession,
  • la cession soit réalisée par acte notarié,
  • le bailleur puisse assister à l’acte de cession,
  • ou encore que le cessionnaire remplisse certaines conditions de solvabilité ou d’activité.

Ces clauses ne doivent pas avoir pour effet de vider la cession de sa substance, mais elles permettent au propriétaire de vérifier le sérieux du repreneur et la conformité de la cession aux règles du bail.

C’est donc un équilibre entre liberté du commerce et protection du propriétaire.


4. La banque comme premier filtre de fiabilité

Il est très rare qu’une banque finance une reprise de fonds de commerce sans procéder à une analyse approfondie du projet.

Avant d’accorder un prêt, les établissements bancaires examinent :

  • le bilan et le chiffre d’affaires du commerce repris,
  • le plan de financement,
  • les compétences du repreneur,
  • la cohérence du projet,
  • et le prévisionnel d’exploitation.

Ainsi, lorsque la vente du fonds aboutit, cela signifie qu’un tiers indépendant (la banque) a validé la viabilité économique du repreneur.

Cette vérification indirecte constitue une forme de garantie pour le bailleur, qui peut raisonnablement estimer que le nouveau locataire dispose d’un projet solide et d’une capacité financière suffisante pour payer les loyers et entretenir le local.


5. Une cession souvent bénéfique au bailleur

Beaucoup de bailleurs redoutent à tort l’arrivée d’un nouveau locataire. En réalité, la cession du fonds intervient souvent dans un contexte de stagnation ou de déclin.

Un commerçant cédant le fonds est fréquemment :

  • démotivé,
  • en fin de carrière,
  • ou confronté à une baisse de chiffre d’affaires.

Le repreneur, au contraire, arrive avec un nouvel élan, des investissements, et souvent une stratégie marketing ou une offre modernisée.

Il réalise des travaux de rénovation, communique davantage, et attire une nouvelle clientèle. Le fonds retrouve ainsi sa vitalité, et le local commercial gagne en valeur.

👉 C’est donc souvent dans l’intérêt du bailleur de voir arriver un repreneur motivé et financé plutôt que de conserver un locataire usé et désinvesti.


6. La solidarité entre cédant et cessionnaire : une garantie importante

Autre aspect rassurant pour le bailleur : la loi permet de prévoir une clause de solidarité entre le cédant et le cessionnaire.

Pendant une durée pouvant aller jusqu’à trois ans après la cession, le locataire sortant peut rester solidairement tenu du paiement des loyers avec le nouveau locataire (article L145-16-2 du Code de commerce).

Autrement dit, si le repreneur ne paie pas, le bailleur peut se retourner contre l’ancien locataire.

Cette disposition, ajoutée à la vigilance bancaire et aux clauses du bail, permet d’assurer une transition sécurisée.


7. Les cas dans lesquels le bailleur peut s’opposer à la cession

Si le principe est la liberté de cession, le bailleur peut s’y opposer dans certains cas précis :

  • lorsque la cession porte uniquement sur le bail et non sur le fonds de commerce ;
  • lorsqu’elle contrevient à une clause de spécialisation (par exemple, si le nouveau locataire souhaite changer l’activité sans autorisation) ;
  • ou encore si la cession n’a pas respecté les formes prévues au contrat (absence de notification, défaut d’acte notarié, etc.).

Mais en dehors de ces hypothèses, le refus de la cession serait abusif et pourrait être sanctionné par les tribunaux.


8. Les précautions à prendre pour le bailleur

Un bailleur prudent peut anticiper la cession du fonds et protéger ses intérêts tout en respectant le cadre légal. Parmi les bonnes pratiques :

  • Insérer une clause de solidarité (voir ci-dessus) ;
  • Prévoir l’obligation d’agrément du cessionnaire sous réserve de ne pas empêcher la cession du fonds ;
  • Exiger la communication des documents financiers du repreneur ;
  • Assister à la signature de l’acte pour s’assurer des conditions de la transmission ;
  • Prévoir un état des lieux contradictoire à la cession pour éviter tout litige sur les dégradations ;
  • Faire intervenir un avocat spécialisé pour vérifier la conformité juridique de la clause et la rédaction de l’acte.

9. Le rôle de l’avocat dans la sécurisation de la cession

Le bail commercial est un contrat complexe, à la croisée du droit des obligations, du droit commercial et du droit immobilier.

Lors d’une cession de fonds de commerce, l’avocat joue un rôle essentiel à double titre :

  • Côté bailleur, il veille à ce que les clauses de cession soient respectées, que les garanties soient activées et que les obligations du nouveau locataire soient claires.
  • Côté cédant ou repreneur, il s’assure de la validité de la cession, de la transmission des éléments du fonds et de la conformité des formalités (BODACC, publicité, droits d’enregistrement, etc.).

Son intervention permet de prévenir les litiges, notamment sur la validité de la cession ou sur le paiement des loyers postérieurs à la vente.


10. En conclusion : un nouveau locataire imposé, mais rarement une mauvaise nouvelle

La cession du fonds de commerce est une opération fréquente dans la vie des baux commerciaux.
Même si le bailleur n’a pas la main sur le choix du repreneur, il dispose de garanties juridiques solides et bénéficie souvent, à terme, d’un locataire plus dynamique et d’un local mieux exploité.

En pratique, loin d’être une menace, la cession du bail dans le cadre d’une cession de fonds est le signe d’un commerce vivant, capable d’évoluer, de se renouveler et de continuer à générer de la valeur — pour le commerçant comme pour le propriétaire.


📌 À retenir

  • Le bail commercial est librement cessible avec le fonds de commerce.
  • Le bailleur ne peut pas refuser la cession, mais il peut en encadrer les conditions.
  • La banque joue un rôle de filtre en vérifiant la viabilité du projet.
  • La clause de solidarité protège le bailleur en cas d’impayés.
  • Dans la plupart des cas, la cession profite aux deux parties.

❓ FAQ – Cession du bail et nouveau locataire

Le bailleur peut-il refuser la cession du bail ?

Non, sauf si la cession porte uniquement sur le bail sans le fonds, ou si elle ne respecte pas les clauses du contrat.

Le bailleur peut-il imposer des conditions au repreneur ?

Oui, à condition de ne pas entraver la cession du fonds. Il peut exiger la notification, la solvabilité et la participation à l’acte.

Le bailleur reste-t-il protégé après la cession ?

Oui, grâce à la clause de solidarité : l’ancien locataire reste garant pendant trois ans.

Pourquoi la cession peut-elle être bénéfique ?

Le repreneur relance souvent l’activité, investit dans le local et redonne de la valeur au fonds, ce qui profite au bailleur.